01 44 54 38 90 seh.juris@gmail.com
 

L’absence d’application des règles de multipostulation en cas d’instance des référés

L’arrêt de la Cour de cassation, rendue par la deuxième chambre civile lors de l’audience publique du jeudi 28 janvier 2016, précise une nouvelle fois les conditions restrictives de la multipostulation. Il rejette l’hypothèse dans laquelle un avocat parisien pourrait interjeter régulièrement appel d’une ordonnance de référés devant la cour d’appel de Versailles.

Ce pourvoi (n° de pourvoi : 14-29185) fait suite à l’arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles le 16 octobre 2014). Les juges du fond avaient prononcé la nullité de la déclaration d’appel de la société Ile-de-France effectuée le 11 juillet 2014, par le ministère d’un avocat inscrit au barreau de Paris, d’une ordonnance de référés, rendue par le président du tribunal de grande instance de Nanterre dans un litige l’opposant à la société Fix Bat.

A l’appui de son recours, l’appelante, la société Ile-de-France, reprochait aux juges d’appel de ne pas avoir respecté les dispositions de l’article 1er III, 2e phrase, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-94 du 25 janvier 2011.
Pour étayer son argumentaire, cette dernière, soutenait que la cour d’appel avait ajouté une condition à la loi, ayant trait à la multipostulation.

En effet, elle soutient que la loi n’exige pas que la postulation devant le tribunal de grande instance de Nanterre ait eu lieu dans la même procédure que dans celle où l’avocat postule devant la cour d’appel de Versailles. De ce fait, la société appelante estimait à l’appui de son pourvoi que l’avocat pouvait se prévaloir d’avoir postulé devant le TGI de Nanterre lors d’une autre procédure et n’avait pas à avoir postulé lors de l’instance faisant l’objet de la procédure objet de l’appel.
La Cour de cassation devait donc apprécier dans le cadre d’une instance de référés devant une juridiction bénéficiant de la multipostulation (Nanterre), si un avocat non inscrit près de la cour d’appel de son ressort (Paris) pouvait interjeter appel devant la juridiction de second degré compétente (Versailles).

Les juges du droit ont estimé qu’il résulte des dispositions de l’article 1er, III, applicables au litige, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, que les avocats inscrits au barreau de l’un des tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny, Créteil et Nanterre ne peuvent former une déclaration d’appel devant la cour d’appel de Paris, que dans l’affaire pour laquelle ils ont postulé devant celui des tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny ou Créteil qui a rendu la décision attaquée.

I- Un rappel de la notion dérogatoire de multipostulation

La Cour de cassation a rappelé les contours même de la notion de postulation.

A) Une règle procédurale gouvernée par la territorialité

La postulation est l’hypothèse dans laquelle la représentation par un avocat est obligatoire devant certaines juridictions, telles que le TGI, pour les justiciables. Elle est régie par la loi du 31 décembre 1971.
En vertu de l’article 751 du Code de procédure civile, l’avocat postulant doit être inscrit au barreau de son tribunal et sa constitution, selon l’alinéa 2 de l’article 751 du CPC, emporte élection de domicile en son cabinet. Il représente obligatoirement la partie et cette représentation comporte le droit et le devoir de postuler, c’est-à-dire c’est à lui qu’incombe la mission de mener la procédure, conclure, et effectuer la saisine du tribunal en formulant les demandes des parties. Cette règle procédurale est régie par le principe de territorialité.

Conformément à l’article 117 du Code de procédure civile, la méconnaissance de cette règle est également sanctionnée par la nullité des actes pour vice de fond : il s’agit du défaut de capacité à représenter une partie en justice. Cependant, tout principe est tempéré par une exception.

L’article 1 III de la loi du 31 décembre 1971 dispose a cet effet :
« Par dérogation (…) les avocats inscrits au barreau de l’un des tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny, Créteil et Nanterre peuvent exercer les attributions antérieurement dévolues au ministère (…) d’avoué près les cours d’appel auprès de la cour d’appel de Paris quand ils ont postulé devant l’un des tribunaux de grande instance de Paris, Bobigny et Créteil, et auprès de la cour d’appel de Versailles quand ils ont postulé devant le tribunal de grande instance de Nanterre. »

Historiquement, la multipostulation en région parisienne a été créée par le démembrement du tribunal de première instance de la Seine en tribunal de grande instance de Paris ainsi qu’en tribunaux périphériques (Nanterre, Bobigny et Créteil).

B) Une multipostulation conditionnée à la représentation obligatoire

Après avoir rappelé cette notion, la Cour de cassation met en exergue qu’en matière de référés, la représentation n’étant pas obligatoire, la postulation n’est donc inéluctablement pas de mise. Ainsi, en présence d’une décision du juge des référés, l’avocat parisien n’ayant été saisi en première instance ne saurait interjeter régulièrement appel devant la cour d’appel versaillaise. De ce fait, est rappelé que l’exception de la multipostulation doit être appréciée de manière restrictive.

Il n’existe pas de capacité générale de l’avocat parisien à interjeter appel devant la cour d’appel de Versailles sous prétexte qu’il aurait auparavant postulé devant le tribunal de grande instance de Nanterre.
Dès lors, la déclaration d’appel interjetée dans ces conditions est nulle.

II- Un arrêt de rejet rappelant les contours de la loi

A) Un arrêt de rupture avec la jurisprudence du fond

Cet arrêt interpelle car ne s’inscrit pas dans la lignée des juridictions du fond.

Pour preuve, citons par exemple une décision de la cour d’appel de Paris très récente (CA Paris, Pôle 4, 9ème ch., 18 juin 2015, n° 14/18240), qui avait estimé qu’un avocat cette fois-ci de Nanterre ne pouvait relever appel d’un jugement de tribunal d’instance parisien qu’à la condition d’avoir postulé pour cette partie en première instance. Cet arrêt étendait donc le nombre de juridictions devant lesquelles un avocat inscrit à un barreau extérieur pouvait exercer un mandat de représentation.

De même, s’agissant de la juridiction commerciale, un avocat au barreau de Nanterre, qui n’avait pas postulé en première instance devant l’un des tribunaux de Paris, Bobigny ou Créteil, n’a pu se constituer valablement devant la cour d’appel de Paris. (CA Paris, 5, 10, 28 mars 2012, n°10/15480). Semblait alors exister pour la validité de l’acte d’appel, une condition de représentation de l’avocat mandaté pour l’appel lors de la première instance.

Cependant, la Haute juridiction tranche, sans équivoque : il n’y a pas de règle de postulation, sans représentation obligatoire, donc pas de bénéfice des règles qui lui sont applicables.

B) Un arrêt rendu en plein questionnement juridico-politique

La Haute juridiction par cet arrêt rend une décision détonante eu égard aux préconisations du gouvernement souhaitant une généralisation de la multipostulation des avocats.
En effet, le ministère de l’Economie et des Finances avait émis l’idée d’une généralisation de la multipostulation des avocats. Cette « fameuse idée » n’est pas nouvellement née et était déjà mise en avant par le rapport Darrois. Poussée par la Commission européenne, une nouvelle restriction « injustifiée » dans les secteurs et professions réglementés serait supprimée. Par la suppression du principe de territorialité serait amené à disparaître, affolés de nombreux petits cabinets de Province.

Avec la multipostulation, les grands gagnants sont déjà les avocats parisiens absorbant un grand nombre des contentieux périphériques, qui verraient leur périmètre d’intervention élargi.
Par ailleurs, les tribunaux de grande instance seraient librement saisis comme les juridictions commerciales, prud’homales, administratives par tout avocat, quel que soit son barreau de rattachement. Dès lors, les avocats qui n’étaient tous égaux devant le principe de la territorialité de la postulation verraient une exception de multipostulation devenir la règle. A nous la libre concurrence chez les avocats, secteur prétendument privilégié !

Cependant, la Cour de cassation tend à protéger les barreaux et retoque les avantages de la territorialité, en l’affirmant comme le principe de mise. En filigrane, on peut s’interroger sur les motivations de cette décision. Seulement juridiques ?ou sensiblement politiques ?
Bruno Oppetit avait évoqué dans la Grand’ Chambre le rôle créateur de la Cour de cassation, soulignant « le chemin parcouru depuis les deux derniers siècles par la voie de la cassation, devenue, de prérogative de justice retenue, puis de sentinelle établie pour le maintien des lois, un moyen de régulation de la réalisation judiciaire du droit ».

Alors peut-être qu’une nouvelle fois, la Haute juridiction a jalousement veillé au respect de la loi et aux règles scrupuleuses des règles de la postulation, en rappelant que c’est à elle que revient le rôle magistral de l’interprétation et de l’application de la loi. Ou peut être qu’il s’agit d’une lanterne rouge allumée dans l’attente d’une réforme de fond, qui pourraient en blesser plus d’uns.

En premier lieu, réflexe corporatiste oblige, pensons aux avocats, qui ne seraient plus indispensables pour les procédures des tribunaux de leur ressort. Ensuite, les justiciables qui ne bénéficieraient plus d’un Conseil proche de sa juridiction, au fait des usages procéduraux.
Or, parfois seul un avocat local connaît les habitudes de sa juridiction. Il y a la théorie mais également la pratique : le Code de procédure civile, et les démarches sur place.
Fiabilité, proximité, célérité seraient alors quelque peu malmenées.
Alors supprimer la postulation, c’est enterrer de nombreux petits cabinets, qui se nourrissaient de ses postulations. Alors, étant encore acquise, autant la préserver de mise !

 

Sarah EL HAMMOUTI, Avocate au Barreau de Paris
Master Contentieux interne et International
Master Droit des affaires, Obligations civiles et commerciales